La plante hôte est le symbole s’il en est de la relation végétal-animal. On désigne par ce terme une espèce végétale qui constitue à la fois l’aliment et le lieu de croissance d’un insecte, souvent des Papillons. La plante hôte est ainsi l’endroit où sera déposée la ponte de l’insecte et où grandira et se nourrira sa larve jusqu’à sa croissance vers un nouveau stade. Mais qu’est-ce qui a conduit certaines chenilles à se spécialiser sur une plante bien précise malgré les contraintes que cela implique ? Et comment leur relation se caractérise-t-elle ?
Le destin lié de la chenille
Les Papillons ou Lépidoptères sont des insectes qui accomplissent au cours de leur vie trois métamorphoses spectaculaires, à travers lesquelles ils vont passer par des états profondément différents. De l’œuf, ils deviendront larves, puis nymphes, et enfin imagos, les « vrais » Papillons qui bénéficient largement des faveurs du public avec leurs ailes souvent colorées. Le stade qui nous intéresse ici est celui de la larve, ou chenille.
La majorité des chenilles sont phytophages, c’est-à-dire qu’elles se nourrissent de plantes. Elles absorbent pour la plupart un grand nombre de végétaux indifféremment, mais certaines ne se nourrissent que d’une seule espèce végétale et sont donc inféodées à elle : on dit qu’elles sont monophages. Pour beaucoup de chenilles, cette exclusivité alimentaire est élargie à des plantes apparentées : on parle alors de chenilles oligophages.

Chenilles de Tyria jacobaeae,
appelées Carmins, Gouttes de sang,
ou encore Écailles du Séneçon,
inféodées au Séneçon jacobée.
Imagos, elles prennent une teinte noire et rouge, avertissant les prédateurs de leur toxicité par leurs couleurs dites « aposématiques »
L’imago, lui, n’a pas de spécialisation lorsqu’il butine des fleurs, mais pour que la femelle monophage ponde ses œufs, elle doit bien entendu trouver l’espèce qui nourrira sa descendance. Ainsi, une fois passé à l’état de chenilles, les jeunes Papillons pourront aussitôt se mettre à dévorer la plante nourricière à leur portée pour capitaliser l’énergie nécessaire à leur prochaine transformation. Pour retrouver sa plante hôte, la femelle Papillon s’aide notamment de ses antennes dotées de facultés sensorielles qui repèrent les kairomones de la plante, substances chimiques attractives issues de son métabolisme.
On oublie souvent qu’avant de devenir une belle créature légère, le Papillon a été un insecte qu’on trouve bien souvent repoussant… La chenille, avec sa démarche rampante, ondulescente, ses tâtonnements insaisissables, ses pattes en forme de ventouses, son corps tubuleux couvert de poils, de verrues, de piques, ou d’un glabre déconcertant, plissée dans son mouvement… qui a envie de se pencher sur elle ? Pourtant, en regardant de plus près, le curieux attentif saura y déceler de fantastiques motifs géométriques, des couleurs et des dégradés des plus vifs et de très fins détails.

Imago de Proserpine,
une espèce inscrite sur la liste rouge des insectes menacés en France
On se représente facilement les difficultés liées à la spécialisation sur une plante hôte car en l’absence de l’espèce végétale requise, la chenille se laisse mourir de faim. Le destin du Lépidoptère monophage est donc inextricablement lié à celui de sa plante hôte, qui représente à la fois son refuge et sa nourriture : une raréfaction de la plante induit une raréfaction du Papillon, et une disparition de celle-ci la perte du Lépidoptère. Certains Papillons réduisent leurs exigences quand leur plante hôte vient à manquer, mais l’adaptation ne va pas de soi pour tous, et il est difficile de faire face aux très brusques changements souvent causés par l’Homme. La perturbations des habitats ou les disparitions d’espèces végétales causent de graves préjudices aux Papillons monophages, qui peuvent voir leurs populations réduites au profit de Papillons polyphages. Ces risques de spécialisation sont-ils compensés par des atouts ?
Fidélité récompensée
Pour se préserver des phytophages, certaines plantes ont recours à d’ingénieux mécanismes chimiques : diminution de leur valeur nutritive, substances répulsives, mauvais goût… En réponse, certains insectes spécialisés ont su évoluer pour contourner ces défenses : adaptation anatomique pour assimiler de nouveaux éléments végétaux, adaptation au goût… Certaines chenilles de Papillons ce sont ainsi adaptées à la toxicité d’une plante grâce à un mécanisme de désintoxication. La plante demeure immangeable pour la plupart des herbivores, mais plus pour elles. Elles possèdent ainsi une réserves exclusive de nourriture et sont en plus à l’abri d’être mangées par erreur en même temps qu’une feuille. En outre, elles sont même capables pour certaines de tirer profit de cette toxicité en la stockant, devenant à leur tour vénéneuses pour leurs propres prédateurs. On relèvera ainsi le cas de la chenille de la Proserpine, Zerynthia rumina, ainsi que de la Diane, Zerynthia polyxena, qui ont toutes deux pour plantes hôtes les Aristoloches, chargées en acide aristolochique fortement toxique.
proposée par Ehlrich et Raven (1964) suggère le lien étroit entre adaptation animale et végétale. Peu d’insectes ayant su s’adapter à la toxicité d’une plante, les ravages que subit celle-ci à cause d’eux s’équilibrent. Mais si d’autres herbivores acquièrent la capacité à résister à sa toxicité, la plante évolue pour produire un autre type de « métabolites secondaires », les substances chargées de repousser ses ravageurs. Une nouvelle génération d’insecte apparaît alors pour s’adapter réciproquement à cette nouvelle protection. L’exclusivité se rétablit et l’équilibre demeure.
Le Papillon reçoit de la plante hôte à laquelle il est inféodé tous les apports nécessaires à sa forme adulte. Les caractéristiques du Papillon sont déterminées en partie par sa plante, dont il peut tirer sa toxicité ou encore des pigments pour ses couleurs. En se spécialisant, l’insecte gagne ainsi en atouts chimiques et en mimétisme. Le camouflage de l’espèce peut être adaptée sur-mesure à sa plante hôte, de l’œuf à la nymphe, ce qui augmente ses chances de survie. Ses motifs et ses couleurs sont alors dits cryptiques, c’est-à-dire qu’ils imitent l’apparence de la feuille ou de la tige de la plante hôte, ou encore de son écorce.
En se spécialisant, le Papillon peut aussi acquérir l’avantage d’une très bonne connaissance de sa plante. En possédant une plante hôte propre, le Papillon sait où se trouve ses « réserves » pour la perpétuation de son espèce et n’aura donc pas à explorer de larges surfaces pour trouver un lieu adéquat à sa reproduction. Il saura aussi être parfaitement adapté au milieu de la plante, à son rythme, à ses concurrents. Ainsi spécialisé, il souffrira moins de la concurrence inter-espèces.
Quelques exemples de Papillons et leurs plantes hôtes inféodées ou préférées :

L’Écaille du Séneçon
Séneçon jacobée (Senecio jacobea)
et Tyria jacobaeae chenille et imago

La Diane
Aristoloches (Aristolochia spp.)
et Zerynthia polyxena chenille et imago

Le Petit Apollon
Saxifrage jaune des montagnes (Saxifraga aizoides)
et Parnassius phoebus chenille et imago

Le Citron
Nerprun bourdaine ou Nerprun purgatif (Rhamnus frangula
et Rhamnus cathartica) et Gonepteryx rhamni chenille et imago
S’interroger sur l’espèce d’un Papillon donne lieu à une multitude de réflexions à tiroirs qu’il est passionnant de poursuivre. On commence par observer quelques détails d’un animal qui attire l’œil : des ocelles bleues, un jaune franc, des nervures noires… quel est donc ce papillon ? A l’ouverture d’un guide, on entrevoit la quantité d’espèces qu’il est possible de croiser en chemin. Puis de l’imago, on découvre la diversité des chenilles pour un autre stade d’identification : épines, soies, poils… Ensuite, leurs préférences de biotopes et de plantes se dévoilent… A travers la vie d’un Lépidoptère, s’offre à nous la diversité naturelle, sa complexité, ses interdépendances, son fragile équilibre.
Références
BALITEAU Lucas et DENISE Cyril, Les thaïs : la Proserpine et la Diane, Fiche insectes protégés, Insectes n°149, OPIE, 2008.
CARTER David, HARGREAVES Brian, Guide des chenilles d’Europe, Delachaux et Niestlé, 2012.
EHRLICH Paul R., RAVEN Peter H., Butterflies and plants : a study in co-evolution, Evolution, Society for the Study of Evolution, 1964.
FRANCIS Frédéric, Interactions tritrophiques : étude du modèle Brassicacaeae – pucerons – coccinelle prédatrice, Thèse, Université de Liège, 2003.
RUCKSTUHL Thomas, Papillons et chenilles, Nathan, 1997.
SANTIN Angelo, Répertoire des plantes hôtes et de substitution des chenilles de Lépidoptère du monde, OPIE, 1998.
Un site ressource : HOSTS : http://www.nhm.ac.uk/hosts, base de données en ligne proposée par le Muséum d’Histoire Naturelle britannique sur les plantes-hôtes des papillons dans le monde.
Site de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel proposé par le Muséum National d’Histoire Naturelle : http://inpn.mnhn.fr
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