Si la famille des Orchidées renvoie pour la plupart d’entre nous à des végétaux des tropiques que l’on accueille volontiers en pot dans notre salon, il existe une grande variété d’espèces indigènes qui poussent à l’état sauvage sur notre sol. D’aspects certes un peu plus discret, elles sont bien reconnaissables et possèdent souvent des formes évocatrices d’insectes ou de petits personnages mystérieux. Pour perpétuer leurs espèces, les Orchidées ont la plupart du temps recours à une reproduction sexuée. Elles ont besoin d’insectes pour assurer leur pollinisation, autrement dit le transport de leur pollen vers une autre fleur pour que celle-ci soit fécondée. On parle alors de fleurs entomogames (du grec entomon = insecte). Comment font-elles pour parvenir à leur fin ? L’une d’elles, le Sabot de Vénus, interroge par sa forme : est-elle un véritable piège à insectes ?
« Entomo »-séductions
Pour attirer les insectes, les Orchidées font appel à différents stratagèmes qui passionnaient déjà Darwin au 19ème siècle. Le premier est de leur fournir de la nourriture, les insectes ayant tout intérêt à venir sur la fleur. Ils peuvent s’y approvisionner notamment en nectar et en exsudat stigmatique (liquide résultant de la surface glutineuse du stigmate et du pollen ainsi retenu). Le deuxième est d’employer des leurres, soit visuels, soit olfactifs. Les insectes n’ont alors pas de véritables intérêts à leur rendre visite mais l’ignorent jusqu’à leur passage effectif. Ces Orchidées peuvent avoir des couleurs voyantes et des formes qui les font ressembler à des fleurs nectarifères (avec un labelle pour la surface d’atterrissage de l’insecte, un calice ou un éperon pour la réserve de nectar…) alors qu’elles n’offrent pas ou très peu de nourriture. Elles peuvent aussi imiter par leur apparence des refuges pour les pollinisateurs qui s’y rendront en croyant pouvoir y passer la nuit ou se protéger des intempéries. Elles peuvent enfin être des appâts sexuels en émettant des parfums qui imitent les phéromones des femelles insectes et en suggérant leurs formes.
Dans certains cas et chez certaines espèces, les Orchidées peuvent aussi se reproduire en s’autopollinisant (autogamie). Cela est possible grâce au fait que les fleurs d’Orchidées sont hermaphrodites. La production de graines sans fécondation (apomixie) se rencontre aussi.
Outre l’apport de nourriture et le leurre, une troisième méthode peut être employée chez les Orchidées pour faire venir les insectes pollinisateurs : le piégeage. En plus du leurre, l’animal est alors retenu le temps qu’il se charge en pollen.
En Europe, seul le Sabot de Vénus (Cypripedium calceolus) a recours à cette méthode, permise par la forme de son labelle qui le fait d’ailleurs d’avantage ressembler à ses consœurs exotiques.

Le Sabot de Vénus est une espèce rare et protégée,
inscrite sur la liste rouge des Orchidées menacées en France. On la rencontre principalement à l’Est pour la France, dans la plupart des pays européens à l’exception des régions trop méridionales, ainsi qu’en Amérique du nord
=> Exit/Sortie
Lors de sa floraison qui a lieu entre mi-mai et mi-juillet selon sa situation, le Sabot de Vénus ne peut être confondu avec aucune autre Orchidée : son gros labelle jaune renflé en forme de sabot est caractéristique. Celui-ci est surplombé par des sépales et pétales brun-pourpré, étalés en forme de croix et souvent torsadés. La plante est haute de 20 à 60 centimètres et possède de larges feuilles ovales-lancéolées (effilées en forme de lance, pointues au bout) à nervures saillantes. Elle pousse dans la mi-ombre, surtout en montagne, mais on peut aussi la rencontrer en plaine dans les endroits frais.
Le nom latin du Sabot de Vénus, Cypripedium calceolus, vient de Cypri– = de Vénus (Cypria = Vénus, déesse née et honorée à Chypre) et –pedium = sabot. Caleceolus signifie « petite chaussure ». Le nom savant francisé a donné le Cypripède, mais on a également christianisé le nom de Sabot de Vénus en Sabot de la Vierge ou Pantoufle Notre-Dame.
Le labelle de la fleur, dont l’aspect rappelant un sabot lui a donné son nom, joue un rôle prépondérant dans sa pollinisation puisque c’est lui qui sert de piège aux insectes. Les pollinisateurs du Sabot de Vénus sont des Hyménoptères du genre Andrena, genre qui regroupe un grand nombre d’abeilles. Ce sont ces abeilles qui, attirées par les couleurs et par l’odeur de la fleur qui ressemble à leurs phéromones, se glissent à l’intérieur du « sabot » par l’ouverture centrale. Elles n’y trouveront pas de nectar mais se verront en revanche « piégées ». Le piège n’est pas fatal pour l’insecte, car il ne s’agit pas de s’en nourrir comme le font les plantes carnivores, mais de le libérer chargé du précieux pollen qui permettra la reproduction. Pour forcer son pollinisateur à exécuter les mouvements qui le couvriront de pollen, le labelle du Sabot de Vénus est adapté afin qu’il soit plus profond que la taille de l’abeille, pour qu’elle ne puisse pas effectuer le chemin inverse en rampant par l’orifice central.
Pour sortir de la fleur, l’insecte doit donc avancer dans le fond du labelle en suivant le passage en quelques sortes balisé pour lui, guidé par les lignes tachetées, par de petits poils qui tapissent l’intérieur du labelle, et par la lumière qui passe par une partie translucide à la base du sabot. L’abeille va ainsi être amenée à grimper sur la partie postérieure du labelle. Là, elle pourra y emprunter un couloir étroit, frottant au passage son dos poilu contre le stigmate (qui reçoit le pollen pour la fécondation) puis sur l’une des deux anthères (qui produisent le pollen), placées chacune de part et d’autre de la colonne porteuse des organes sexuels (le gynostème). Ces anthères constituent les deux seules alternatives possibles vers la sortie. L’insecte regagnera alors enfin l’extérieur, après un séjour « forcé » dans la fleur qui aura duré une dizaine de minutes. Il s’envolera pour explorer d’autres fleurs et pollinisera le prochain Sabot de Vénus auquel il rendra visite, son dos chargé du pollen passant sous ce nouveau stigmate.

1 : L’insecte passe
par l’orifice central du labelle
et atterrit au fond.
2 : Il est forcé d’avancer jusqu’à la partie postérieure pour remonter, passant contre le stigmate puis contre l’une des anthères.
Références
ANTONELLI Alexandre, DAHLBERG C. Johan, CARLGREN Kaisa H. I., APPELQVIST Thomas, Pollination of the Lady’s slipper orchid (Cypripedium calceolus) in Scandinavia, Nordic Journal of Botany, 2009.
ARGUE Charles L., The pollination biology of North American orchids, Springer Verlag, 2012.
BENSETTITI F., GAUDILLAT V., MALENGRAU D., QUERE E., Cahiers d’habitats Natura 2000, Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire, tome 6, Espèces végétales, La Documentation française, 2002.
DARWIN Charles R., The various contrivances by which British and foreign orchids are fertilised by insects, and on the good effects of intercrossing, John Murray, 1877.
DELFORGE Pierre, Guide des orchidées d’Europe, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, Delachaux et Niestlé, 2005.
Site de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel proposé par le Muséum National d’Histoire Naturelle : http://inpn.mnhn.fr
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