Que sont ces grands cercles sombres tracés dans l’herbe ?

Il n’est pas rare d’observer un cercle formé d’herbes plus foncées que les autres au milieu d’une prairie. D’où viennent ces dessins ésotériques, souvent appelés « ronds de sorcières » ou « cercles de fées » ?

Rond de sorcières

On les remarque le plus souvent lorsqu’on les surplombe, ou sur une colline au loin : des anneaux d’herbes drues, ayant pour certains une forme parfaitement géométrique. Pour comprendre les ronds de sorcières, la première étape est de connaître leur autre nom, plus terre-à-terre : mycélium annulaire.

L’adjectif « annulaire » désigne ce qui a la forme d’un anneau (du latin annulus, anneau). Le terme « mycélium » renvoie quant à lui à la partie cachée des champignons. Le mystérieux rond a donc un lien plus prononcé avec le monde souterrain qu’avec celui des créatures volantes…

La magie des ronds
Nombre de légendes ont circulé sur les ronds de sorcières dans le monde. Œuvre de lutins, de fées, d’éclairs, ou du diable lui-même, ils étaient le plus souvent considérés comme une manifestation maléfique dans laquelle il valait mieux ne pas pénétrer.
Rond de sorcières en sous-bois.

Rond de sorcières en sous-bois

Virée dans le sol

Qu’est-ce donc qu’un champignon ? Pour la plupart d’entre nous, c’est un aliment qui se retrouve dans nos assiettes sous la forme d’un bolet au chapeau rond, d’une girolle en forme d’entonnoir, ou encore d’une morille avec son cône alvéolé. Ce que nous ramassons pour notre consommation ne correspond en fait qu’à une toute petite partie du champignon, le carpophore. Cette structure aérienne est sans commune mesure avec ce qui se trouve à l’abri de notre regard.

Sous terre, le champignon s’étend en d’innombrables filaments, les hyphes, dont l’ensemble se nomme mycélium. Le réseau d’hyphes permet au champignon d’avoir accès à une très grande surface du sol, multipliant ainsi les possibilités pour se nourrir.

Champignons rois
Le règne des Mycètes, ou Fungis, celui des champignons, est un règne à part entière du monde vivant, comme le sont le règne Animal, le règne Végétal ou encore le règne des Protozoaires. Les champignons sont des organismes d’une grande diversité, mais tous ont pour point commun de se nourrir en absorbant les nutriments (et non en les ingérant, comme le font les animaux).
Schéma d'un mycète

Schéma d’un mycète

Tout comme les fruits du règne Végétal, le carpophore ne pousse chez les mycètes qu’à de brefs moments. Il est au cœur du processus de reproduction.

La reproduction des champignons

Chez les champignons qui nous intéressent ici, la reproduction commence par la réunion de deux mycéliums de types sexuels opposés. Cette fusion, la plasmogamie, engendre un mycélium dit « dicaryote », c’est-à-dire avec deux noyaux. Ce type de mycélium peut perdurer longtemps sous terre. Lorsque certaines conditions extérieures sont réunies (pluie, température), le mycélium dicaryote produit des carpophores, « nos » champignons, aussi appelés basidiocarpes. Cette apparition peut avoir lieu de façon extrêmement rapide, le mycélium y déployant toute son énergie et le carpophore croissant en même temps qu’il absorbe l’eau.

Ces carpophores, à la suite de plusieurs autres étapes de transformation des cellules (caryogamie puis méiose), vont produire des spores qu’ils vont éjecter dans l’air. Ainsi dispersées, ces spores germeront et donneront naissance à de nouveaux mycètes.

Montée méthodique

On voit donc que ce que l’on nomme les champignons ne sont qu’une manifestation éphémère d’un organisme qui grandit en réalité sous le sol. Dès lors, on peut comprendre pourquoi des carpophores apparaissent régulièrement comme s’ils étaient rangés en ordre de bataille. Nombre de mycètes vivant en alliance mutualiste avec des arbres, il est par exemple logique de voir des carpophores bien alignés les uns derrière les autres. C’est la résultante extérieure du mycélium suivant l’une des racines de son allié.

Carpophores d'un Scléroderme vulgaire (Scleroderma citrinum) suivant la trajectoire d'une racine

Carpophores d’un Scléroderme vulgaire (Scleroderma citrinum) suivant la trajectoire d’une racine

Bénéfices partagés
Dans une alliance mutualiste entre un mycète et un végétal, le mycète fait bénéficier à la plante de son grand réseau de mycélium en lui fournissant des minéraux. La plante, elle, lui donne des nutriments organiques. On appelle cette association une mycorhize.

Dans le cas des ronds de sorcières, une spore germe et donne naissance à un mycète en un point donné d’une prairie. Son mycélium grandit en s’étendant dans toutes les directions à partir de son point de départ. Cette expansion produit naturellement une surface en forme de disque. Lorsque l’environnement extérieur le permet et que des carpophores sortent de terre, ils apparaissent sur le contour de ce cercle d’expansion, qui correspond à l’extrémité du mycélium.

L’année d’après, le mycélium annulaire va réapparaître, mais un peu plus loin, car l’expansion se sera poursuivie et le diamètre du cercle aura augmenté d’autant.

L’effet magique du mycélium

Ce que l’on nomme rond de sorcières désigne ces ronds de carpophores, mais l’expression englobe également le rond lorsque les carpophores ne sont pas présents. L’herbe y est alors plus vigoureuse, marquant l’endroit où les carpophores ont poussé précédemment. Ce phénomène s’explique par le fait que la croissance de l’herbe a été stimulée sous l’effet de substances produites par le mycète. L’herbe a développé une tolérance à ces substances, qui plus est diluées par la pluie et atténuées par l’éloignement progressif du mycélium actif. Elle croît un peu comme elle le ferait sous l’effet d’un engrais. Inversement, à l’endroit où le mycélium est en train de se développer, l’herbe est fragilisée par l’arrivée de ces substances et les nutriments du sol se trouvent de plus accaparés par le mycète au détriment de l’herbe, qui jaunit.

À l'ancien emplacement des carpophores, l'herbe reprend de la vigueur

À l’ancien emplacement des carpophores, l’herbe reprend de la vigueur

On estime que la progression du mycélium est de l’ordre de 30 centimètres par an. On peut ainsi calculer l’âge des ronds de sorcières à leur taille. Ils peuvent atteindre d’impressionnantes proportions et avoir plusieurs centaines d’années. Certains d’entre eux comptent peut-être parmi ceux qui ont fait émerger, en des temps reculés, certaines des légendes qui les entourent…

Quelques champignons affectionnant les rondes
Le Marasme d’oréade (Marasmius oreades), le Bolet granulé (Suillus granulatus), ou encore le Tricholome de la Saint-Georges (Calocybe gambosa) sont quelques-unes des espèces de champignons donnant lieu à des ronds de sorcières. Ils sont tout trois comestibles.

Références

CAMPBELL Neil, Biologie, Pearson, 2012.
CHOI Jae-Hoon., FUSHIMI Keiji, ABE Nobuo, TANAKA Hidekazu, MAEDA  Setsuko, MORITA Akio, HARA Miyuki, MOTOHASHI Reiko, MATSUNAGA Junichi, EGUCHI Yoko, ISHIGAKI Naomi, HASHIZUME Daisuke, KOSHINO Hashizume and KAWAGISHI Hiroyuki, Disclosure of the “Fairy” of Fairy-Ring-Forming Fungus Lepista sordida, ChemBioChem, Volume 11, 2010.
EDWARDS P.J., Effects of the fairy ring fungus Agaricus arvensis on nutrient availability in grassland, New Phytologist, volume 110, 1988.
LANG Angelika, Le petit guide des champignons, Hachette, 2012.
MARTIN Francis, Tous les champignons portent-ils un chapeau ? 90 clés pour comprendre les champignons, éditons Quæ, 2014.
Site de la Nova Scotia Museum of Natural History, Les champignons parmi nous : www.virtualmuseum.ca/Exhibitions/Mushroom/Francais (site consulté en septembre 2014).
PETER Martina, Ectomycorrhizal fungi – fairy rings and the wood-wide web, New Phytologist, volume 171, 2006.

(…) You demi-puppets that
By moonshine do the green sour ringlets make,
Whereof the ewe not bites, and you whose pastime
Is to make midnight mushrooms, that rejoice
To hear the solemn curfew…
William SHAKESPEARE, The Tempest, Prospero, Acte V Scène I, 1611.

Vous, petites marionnettes qui
Tracez au clair de lune les ronds amers
Que les brebis ne broutent pas, et vous, dont le passe-temps
Est de créer des champignons de minuit, qui vous réjouissez
D’entendre le solennel couvre-feu…