Quelle est la différence entre châtaigne et marron ?

Crème de marrons, marrons glacés, dinde aux marrons… Le marron paraît volontiers s’inviter sur nos tables. Est-ce à dire que marronniers et châtaigniers produisent les mêmes fruits ?

Distinguer un marronnier d’un châtaigner

Le Marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum), dit aussi Marronnier commun, est originaire des Balkans. Il est employé depuis le début du 17e siècle en France comme arbre d’ornement à travers divers cultivars. D’abord rare et prisé par les passionnés et les puissants comme Louis XIV, il s’est peu à peu répandu jusque dans les cours d’écoles.

Robuste, il peut atteindre près de 40 mètres de haut lorsqu’il n’est pas taillé. Son écorce lisse gris-rosé devient écailleuse et brun-rouge après 80 ans. Ses grandes feuilles ont un long pétiole (queue) et sont composées : elles sont divisées en folioles dentées, souvent au nombre de 7. Ces folioles partent d’un même point et se déploient comme les doigts d’une main.

Feuillage du Marronnier d’Inde

Aux alentours du mois de mai, les fleurs blanches du Marronnier, rassemblées en pyramides, sont remarquables par leur taille. Ornés de taches jaunes, les pétales supérieurs servent de guide aux abeilles et bourdons qui cherchent le nectar. Lorsque le jaune vire au rouge, c’est que la pollinisation a déjà eu lieu : le signal visuel incite les insectes à visiter une autre fleur. En septembre, apparaissent de nombreuses bogues épineuses et verdâtres contenant un ou deux marrons, qui se fendent lorsqu’elles parviennent à maturité. Les marronniers appartiennent à la famille des Sapindacées, comme les érables et le Litchi.

Inflorescence pyramidale du Marronnier d’Inde et détail des taches jaunes à roses

Des bogues qui manquent de piquants

Outre le Marronnier d’Inde, on peut voir en France d’autres espèces de marronniers plantées par l’Homme tel que le Marronnier à fleurs roses (Aesculus carnea), dont les feuilles possèdent un pétiole très court, ou le moins commun Marronnier à fleurs jaunes (Aesculus flava), aux petites grappes florales jaunes. Les bogues de ces deux espèces sont peu ou pas épineuses.

Le Châtaigner commun (Castanea sativa) fait quant à lui partie de la famille des Fagacées, comme les hêtres et les chênes. Il est indigène dans les Cévennes, en Corse, dans les massifs des Maures et des Pyrénées. Il est par ailleurs abondamment cultivé pour ses fruits et pour son bois, notamment utilisé en tonnellerie. On le trouve du sud de l’Europe au nord de l’Afrique en passant par l’Asie tempérée. Il apprécie les sols siliceux du Massif central et de Bretagne, et croît volontiers en moyenne montagne.

Châtaigner commun en fleur

Reconnaissable à son port majestueux et à son dense feuillage luisant, il peut mesurer jusqu’à 35 mètres. Si l’écorce des jeunes arbres est plutôt lisse, celle des sujets âgés se fissure verticalement, formant un ensemble de crêtes qui dessine souvent une spirale. Le Châtaigner commun a des feuilles simples oblongues aux dents espacées. Étant monoïque, chaque arbre comprend des fleurs mâles et des fleurs femelles distinctes. Si les fleurs femelles sont assez discrètes, les fleurs mâles sont groupées en longs chatons, sortes d’épis de couleur jaune crème qui parfument l’air d’été. La fructification a lieu en octobre. Les bogues sont hérissées d’épines particulièrement piquantes, réunies en faisceaux.

Feuillage, bogues et chaton de fleurs mâles séchées du Châtaigner commun

Bractée protectrice versus fruit épineux

À l’intérieur d’une bogue de Châtaignier et de Marronnier, on trouve des éléments apparemment fort semblables : des sphères coriaces à l’aspect comprimé, d’environ 3 centimètres de diamètre, d’un brun-rougeâtre, lisses, avec une tache blanchâtre à la base. Qui plus est, elles portent parfois le même nom de « marron ». Pourtant, elles sont de nature différente. Si la châtaigne est un fruit, le marron est une graine.

Une graine est produite par une plante après pollinisation et fécondation d’un ovule présent dans une fleur. Elle contient l’embryon végétal qui, dans des conditions propices, permet la formation d’une nouvelle plante. Les plantes à graines sont divisées en deux lignées : les Gymnospermes et les Angiospermes. Chez les Gymnospermes (du grec « gumnós », nu et de « sperma », graine) parmi lesquels on trouve les conifères, les ovules, donc les graines, sont nus. Chez les Angiospermes (de « angeîon », capsule, vase) comme les pâquerettes ou les saules, l’ovule est inclus dans un ovaire. C’est ce dernier qui se transforme en fruit et renferme la graine.

Le Châtaignier produit des fruits secs, non charnus, contrairement aux raisins par exemple. Cela signifie que leur péricarpe, leur paroi, s’est durci. Certains fruits secs s’ouvrent à maturité, comme les capsules des pavots. Ce sont des fruits déhiscents (du latin « dehisco, dehiscere », s’ouvrir). D’autres demeurent fermés : on parle alors de fruits indéhiscents ou encore d’akènes. C’est le cas de la châtaigne.

La bogue de la châtaigne est une bractée, c’est-à-dire une écaille, une feuille modifiée, placée à la base d’une fleur, et transformée dans cette circonstance en coque enveloppant le fruit. La tache blanche de la châtaigne correspond à la cicatrice de l’insertion du fruit dans cette coque. Au sommet d’une châtaigne, on retrouve un plumet : c’est le reste des stigmates qui prolongent l’ovaire.

Fruits du Châtaigner commun dans leur bractée ou involucre

Pour le Marronnier, la configuration est complètement différente : la bogue est elle-même le fruit. Cette capsule épineuse et déhiscente laisse s’échapper une ou deux graines, les marrons. Dans ce cas, la tache blanche est appelée hile : c’est aussi une cicatrice, celle laissée par l’insertion de la graine dans sa capsule.

Graine et fruit complet du Marronnier

La châtaigne est un fruit sec indéhiscent, tandis que la bogue du Marronnier est un fruit sec déhiscent dont la graine est le marron. Pour trouver la graine de la châtaigne, il faut tout simplement ôter son péricarpe : c’est ce que l’on fait lorsqu’on épluche une châtaigne, dont on ne mange donc que la graine !

De la châtaigne au fruit exotique

Malgré l’usage du mot « marron » en cuisine, le marron au sens botanique n’est pas comestible. Le terme français « chastaigne », qui deviendra ensuite « châtaigne », est attesté dès le 12e siècle. Il est issu du latin « castanea », emprunté du grec « kastanea », châtaignier. Il semble que le terme « marron » soit pour sa part arrivé en France au 16e siècle dans la région lyonnaise depuis l’Italie, l’italien « marrone » désignant une grosse châtaigne comestible.

C’est par analogie à ce fruit que l’on a par la suite nommé « marron » (ou encore « marron d’Inde ») la graine du nouvel arbre ornemental qu’était le Marronnier. Le terme de « marronnier » est d’ailleurs apparu au 17e siècle. C’est une ellipse de « chastennier [châtaigner] marronnier », que l’on a finalement appelé « marronnier d’Inde » pour lever l’ambiguïté.

Le fruit du Marronnier d’Inde contient la plupart du temps une seule graine, parfois deux. La bogue est composée de 3 loges carpellaires comprenant chacune 2 ovules. La graine qui se développe prend souvent toute la place, aplatissant les autres loges. L’ouverture de la capsule se fait par 3 fentes correspondant à ces loges, que l’on peut encore distinguer lorsqu’on observe l’intérieur d’une bogue. Le fait que chaque bogue ne produise qu’un marron aboutit à une graine de belle taille.

À l’instar du marron d’Inde, les castanéiculteurs cultivent des variétés de châtaigniers aux fruits volumineux. Les châtaignes prennent alors volontiers le nom de « marron » dans la droite ligne du « marrone » italien. Au lieu des 3 petits fruits inégaux qu’offrent les bogues de châtaigniers sauvages, ces châtaignes de gros calibres sont au nombre d’une ou de deux. Par ailleurs, contrairement aux châtaignes classiques, le tégument ou tan, sorte d’enveloppe protectrice qui forme des replis à l’intérieur de la graine, ne cloisonne pas ces marrons de châtaigner. La graine est ainsi plus agréable à consommer.

Marron non comestible du Marronnier d’Inde

Références

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COUPLAN François, STYNER Eva, Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques, Delachaux et Niestlé, 2005.
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Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, 2000.
JOHNSON Owen, MORE David, Guide Delachaux des arbres d’Europe, Delachaux et Niestlé, 2005.
PRAT Roger et RUBINSTEIN Jean-Pierre, Biologie et Multimédia, Sorbonne Université Sciences : http://www.snv.jussieu.fr/bmedia.
Tela Botanica, site du réseau de la botanique francophone : http://www.tela-botanica.org/site:botanique.
THOMAS Régis, BUSTI David, MAILLART Margarethe, Petite flore de France. Belgique, Luxembourg et Suisse, Belin, 2016.

C’est dans le jardin du couvent de la rue du Temple que se trouvait ce marronnier d’Inde qui passait pour le plus beau et le plus grand de France et qui avait parmi le bon peuple du dix-huitième siècle la renommée d’être le père de tous les marronniers du royaume.

Victor HUGO, Les Misérables, 1862.