Pour parfaire un camouflage brun, une extrémité blanc vif sur le pelage pourrait à première vue paraître contre-productive. Pourtant, la parade semble faire ses preuves face aux prédateurs…

Blanc tape-à-l’œil
La fourrure gris-beige du Lapin de garenne est tout indiquée pour se fondre dans la végétation d’une prairie. Idem pour la robe brune du Chevreuil à la lisière d’un sous-bois. Ni vu ni connu, sans un peu de vigilance…

Bien souvent, c’est lorsqu’ils nous tournent le dos que nous remarquons ces animaux : chez le Lapin, on distinguera le dessous de la queue ostensiblement blanche, visible par à-coups au gré de ses bonds. Chez le Chevreuil, qui n’a pas de queue à proprement parlé, notre attention pourra être attirée par le « miroir », une tache claire ornant le fessier, d’un blanc franc en hiver, en forme de haricot chez le mâle et de cœur chez la femelle. De manière moins notable, une tache claire est aussi présente sous la queue du Cerf élaphe, nommée alors « cimier », ainsi que sur la croupe du Chamois et du Bouquetin des Alpes, ceci chez les deux sexes. Tous ces herbivores seraient-ils donc mal adaptés pour leur survie ?
Hypnotique diversion
Ces signaux blancs rappellent que le camouflage pur et simple n’est pas la seule stratégie déployée parmi la faune pour échapper à un prédateur. On peut penser aux couleurs aposématiques des coccinelles alertant sur leur toxicité, aux ocelles chatoyants de certains papillons évoquant de multiples paires d’yeux aux aguets, ou encore à la livrée disruptive du Lynx boréal dont les taches contrastées participent à brouiller les contours de l’animal.

Les fonctions des caractéristiques morphologiques d’une espèce ne peuvent pas toujours être définies avec certitudes. Chez le Lapin de garenne et le Chevreuil, une hypothèse voudrait que le blanc sur leurs fesses serait utile pour capter l’attention d’un poursuivant. Si le regard se fixe sur ce détail et que celui-ci disparaît brusquement à la faveur d’un changement de cap de la proie, le prédateur aura besoin d’un temps d’adaptation, certes bref, mais inévitable, pour que sa vue se réajuste et qu’il puisse cibler une autre partie. Durant cet intervalle, le pourchassé pourrait bien être lui-même… parti !
Recherche en cours
En 2013, un chercheur en évolution a mené une étude corroborant cette explication en proposant à des volontaires humains une chasse au lapin dans un jeu vidéo. Deux types de lapins entraient en scène : certains possédaient une queue matérialisée par un cercle clignotant blanc, d’autres en étaient dépourvus. Il en résultait que les joueurs avaient beaucoup moins de succès pour attraper les lapins avec une queue blanche et qu’ils étaient également moins rapides pour les pourchasser. Si cette expérience a ses limites, notamment parce qu’elle ne reproduit pas fidèlement les conditions rencontrées sur le terrain et que les protagonistes sont bien différents dans la réalité, elle a le mérite de nous faire comprendre comment un désavantage supposé peut en fait s’avérer une botte secrète dans la sélection naturelle.

Pour être effectif, l’atout de couleur du Lapin de garenne et du Chevreuil est étroitement lié à la cinétique. Or nous connaissons encore peu la perception que les animaux ont des mouvements et des motifs. Dans un article sur la biologie de la couleur publié dans la revue Science en 2017, des écologues soulignaient l’importance des nouvelles technologies pour améliorer notre savoir en la matière. L’apport des caméras haute vitesse, qui peuvent enregistrer un grand nombre d’images par seconde, ou des techniques neuroéthologiques telles que les oculomètres, qui analysent le mouvement des yeux, ou l’imagerie neuronale, apparaît précieux pour mieux interpréter les comportements des animaux face aux signaux de couleur.
Références
CUTHILL Innes C., ALLEN William L., ARBUCKLE Kevin, CASPERS Barbara, CHAPLIN George, HAUBER Mark E., et al., Science, 357(6350), eaan0221, « The biology of color », 2017
LORIN Thibault, FIGON Florent, « Fonctions adaptatives et évolution des couleurs des animaux », site Planet-Vie, 2020.
SEMMANN Dirk, CAPELLE Tessa, RUSSELL Yvan I., Behaviour 2013: International Ethological Conference, « A rabbit’s tail: conspicuous rump patch causes predator confusion », 2013.
STEVENS Martin, CUTHILL Innes C., WINDSOR Amy M., WALKER Hannah J., Biological sciences, 273(1600), 2433–24382006, « Disruptive contrast in animal camouflage », 2006.