Noms d’espèces : pourquoi ces rallonges ?

Apprendre à connaître une espèce par son nom est une chose, apprendre à comprendre ce nom en est une autre…
A la lecture d’un ouvrage spécialisé, nous sommes confrontés à une pléiade de noms qui désignent une seule et même petite fleur, ou un seul et unique animal. Pourquoi ne pas se contenter d’un simple mot ? Pourquoi voit-on défiler un nom français à rallonge, suivi d’un nom latin, et même d’un nom propre puis d’une date ?

Noms d'espèces : pourquoi ces rallonges ?

Du « piaf » à l’Anas platyrhynchos

Se pencher sur la nomenclature peut paraître à première vue particulièrement rébarbatif. Pourtant, la façon dont on nomme un animal ou une plante constitue le socle de notre connaissance. Savoir mettre un nom sur une espèce, c’est savoir la distinguer des autres et connaître un élément central de son identité. C’est dès lors avoir un regard global sur son unicité, mais aussi sur ses ressemblances avec les autres espèces.
Le premier pas dans le dédale des noms est bien vite franchi au détour d’une simple observation. Prenons à titre d’exemple le Canard colvert, connu de tous. La plupart d’entre nous, à la vue d’un individu de cette espèce, n’y verra qu’un banal oiseau. Certes, mais s’arrêter là serait fermer les yeux sur l’incroyable diversité du monde vivant… Plus précisément, de quel oiseau s’agit-il ? Avec un peu d’effort, on dira probablement qu’il s’agit d’un canard, mais notre dénomination s’arrêtera là. Un article scientifique, lui, donnera le nom complet de Canard colvert, Anas platyrhynchos Linné, 1758.

Canard colvert femelle

Canard colvert femelle

La science de nommer

La taxinomie ou taxonomie consiste à décrire, classifier et nommer une espèce. Bien que la classification des espèces évolue avec nos connaissances, notamment grâce à l’avancée de la recherche génétique, cette science repose depuis ses débuts sur la répartition des espèces en un arbre avec des embranchements, où chaque nœud correspond à un taxon.
Un taxon, ou rang taxinomique, est en quelque sorte l’étiquette désignant un étage de l’arbre. A l’heure actuelle, la classification repose principalement sur les notions d’espèces, qui, avec leurs caractères communs, forment un genre, qui lui-même est compris dans une famille, au-dessus de laquelle on trouve encore l’ordre, la classe, l’embranchement, le règne, et enfin le domaine. Chaque niveau englobe un cran de plus que le précédent. Reprenons l’exemple de notre Canard colvert : il fait partie du genre Anas (qui regroupe canards et sarcelles), de la famille des anatidés (canards, oies, cygnes et apparentés), de l’ordre des ansériformes (qui regroupe trois familles d’oiseaux dont celle des anatidés), de la classe des Aves (les oiseaux), de l’embranchement des chordés, du règne animal, et du domaine des eucaryotes.

Eucaryotes
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Animaux
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Chordés
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Aves
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Ansériformes
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Anatidés
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Anas
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Canard colvert

Taxinomie vient du grec « taxi » = ordre, classement et « nomos » = loi. Il ne faut pas entendre dans ce terme le mot « nom » !

En biologie, la nomenclature est un système qui sert à dénommer, de façon logique et méthodique, les espèces vivantes. Afin d’assurer une harmonisation de la dénomination au niveau mondial, les nomenclatures sont contrôlées respectivement par la Commission Internationale de Nomenclature botanique d’une part, et zoologique d’autre part.
La nomenclature établie par le naturaliste suédois Linné est basée sur l’association de deux termes latins. Le premier, le « nom générique », désigne le nom du genre, le second l’espèce. Suivant cette logique, on devinera facilement que la première partie du nom international du Canard colvert est « Anas », puisque l’on a vu qu’il appartient à ce genre. La deuxième partie de son nom, l’« épithète spécifique », est « platyrhynchos », de « platy » = plat, et « rynchos » = museau, bec. Ainsi, le Canard colvert a pour nom Anas platyrhynchos. Ce système de termes en binôme sur lequel est fondée la taxonomie est appelé nomenclature binominale. Le nom scientifique est un nom utilisé sur l’ensemble du globe qui garantit que l’on parle bien de la même espèce.

Suivons les pistes !

Souvent, le nom français d’une espèce est similaire au nom latin. Connaître le sens du nom latin peut alors s’avérer fort utile pour mieux mémoriser le nom, qui nous délivre ainsi son véritable sens. Cela peut aussi permettre de faire des liens indirects entre des espèces bien différentes, et ainsi mémoriser plus aisément de nouveaux savoirs.
On peut par exemple s’arrêter sur le fameux Ornithorynque : on repère facilement dans son nom vernaculaire une racine commune avec le nom scientifique du Canard colvert, « rynchos ». Pour ce qui est de « ornitho », que l’on retrouve dans « ornithologie », on devine que le terme est lié à l’oiseau. Ainsi, on comprend que l’Ornithorynque veut dire « A bec d’oiseau » ! Penchons-nous à présent sur son nom latin, Ornithorhynchus anatinus. On sait à présent que « A bec d’oiseau » désigne le genre, mais on peut également reconnaître dans son épithète spécifique un terme déjà croisé plus haut : « Anas », le genre dont fait partie le Canard colvert, le suffixe « -inus » signifiant « semblable à ».

Encore un nom… d’humain cette fois

Dans un ouvrage, le Canard colvert sera nommé ainsi : Anas platyrhynchos Linné, 1758. Que vient faire la mention de Linné ici ? Le nom de l’auteur ne fait pas partie du nom d’un taxon, mais sa citation, ainsi que celle de la date, sont vivement conseillées au moins une fois dans un texte traitant d’une espèce. L’auteur d’un nom est celui qui l’a mentionné pour la première fois dans une publication suite à la découverte de l’espèce. La date correspond à la première publication concernant l’espèce. Linné étant le père de la nomenclature, on ne s’étonnera pas de voir souvent apparaître son nom à la suite de nombre de taxons.
On remarque parfois l’emploi de parenthèses. Elles signifient que l’espèce avait autrefois un nom de genre différent de celui actuellement employé. L’auteur de la première publication sur cet animal étant inchangé, on continue à le citer après le nom du taxon, mais entre parenthèses. Ainsi, le Code international de nomenclature zoologique donne pour exemple le nom d’un ténia, Tænia diminuta Rudolphi, 1819, qui a été transféré dans le genre Hymenolepis et doit donc désormais être cité :  Hymenolepis diminuta (Rudolphi, 1819).

Comme on le voit, l’étude d’un nom d’espèce n’est pas chose aisée, mais pour celui qui en a l’envie, elle peut être une vraie source d’approfondissements.

Références

ASSOCIATION INTERNATIONALE POUR LA TAXINOMIE DES PLANTES, Code international de nomenclature botanique, 2006.
Site BioNET, the global network for taxonomy : http://www.bionet-intl.org
CAMPBELL Neil, Biologie, Pearson, 2012.
CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES TEXTUELLES ET LEXICALES : http://www.cnrtl.fr
COMMISSION INTERNATIONALE DE NOMENCLATURE ZOOLOGIQUE, Code international de nomenclature zoologique, 2000.
HIGGINS Lionel, HARGREAVES Brian, LHONORÉ Jacques, Guide complet des papillons d’Europe et d’Afrique du nord, Delachaux et Niestlé, 1991.

Nomina si nescis, perit et cognitio rerum.
La connaissance des choses périt par l’ignorance du nom.

Carl von Linné, Philosophica botanica, 1751.

 

 

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