À la fin du printemps, aux abords d’une zone marécageuse, des chevrotements emplissent curieusement le ciel… Nul besoin d’yeux pour en reconnaître l’auteur, car la confusion est impossible : il s’agit de la Bécassine des marais. Comment fait-elle pour émettre un tel son, qui semblerait plutôt venu d’un agneau que d’un oiseau ?
L’intrigante habitante des zones humides
Si les oiseaux sont connus des Hommes, c’est avant tout par leurs chants. Les oiseaux n’ont pas de cordes vocales dans le larynx comme les mammifères. Chez eux, l’organe de phonation se nomme la syrinx. Elle est située à l’entrée des poumons et est constituée de deux cavités qui permettent d’effectuer simultanément des sons différents. L’animal qui nous intéresse ici produit un son spectaculaire qui ne provient pourtant pas de sa syrinx, mais de ses plumes.
La Bécassine des marais (Gallinago gallinago) est un oiseau discret de taille moyenne qui niche dans les tourbières et les prairies humides. Son plumage tacheté de bruns et d’ocres lui permet d’être parfaitement camouflée lorsqu’elle est accroupie dans la végétation.Quelques rayures sur la tête, un ventre blanc, de courtes pattes, c’est un limicole qui possède un très long bec fin et droit.
Elle niche dans quelques régions du nord de la France, notamment en Franche-Comté, mais se retrouve en hiver sur un territoire plus large qui va jusqu’à la Camargue. Bien que la population hivernant en France soit plus importante, les Bécassines des marais qui nichent chez nous ne représentent par contre qu’une centaine de couples. La population nicheuse est classée dans les oiseaux « en danger » de la Liste rouge 2011 des espèces menacées en France. L’espèce souffre principalement de la disparition des zones humides, et la forte pression exercée par la chasse n’aide pas à renforcer ses effectifs.
C’est entre mars et juillet que la Bécassine des marais nous offre un spectacle sonore hors du commun, fort rare en France. Si l’on a jadis émis l’hypothèse que le son de la Bécassine des marais était produit par ses organes vocaux, ou encore par ses ailes, c’est en réalité du côté du plumage de sa queue qu’il faut chercher.
Rectrices chantantes
Durant la période nuptiale, lorsque la Bécassine plonge à vive allure vers le sol, elle déploie ses rectrices (nom des plumes de la queue chez les oiseaux), de manière à ce que la prise au vent soit maximale, presque à angle droit par rapport au reste de son corps. Les rectrices externes s’écartent, et, par le frottement avec l’air, produisent ce bruit chevrotant typique. Cette performance est à la fois un procédé de séduction du mâle et une parade territoriale. Elle a valu à l’espèce des surnoms tels que « chevrette », « chèvre volante » ou encore « chèvre céleste »…
Des chercheurs se sont penchés sur les mécanismes exacts qui entrent en jeu dans l’apparition de ce son. L’étude du frémissement des plumes a montré qu’il se produit par aéroélasticité, grâce aux propriétés structurelles des plumes (notamment leur incurvation) qui interagissent avec les forces aérodynamiques.
Même s’il fait partie des plus spectaculaires, le chevrotement de la Bécassine n’est pas le seul exemple de son non chanté dans le monde des oiseaux. Les plumes font souvent partie de leur arsenal sonore. On peut citer l’exemple de la Bécassine double, qui bat bruyamment des ailes pendant sa parade, ou du Pigeon ramier (Columba palumbus), qui claque des ailes durant son vol nuptial. Le bec est un autre instrument très important, comme on l’entend avec les tambourinements sonores des Pics ou encore le claquement de bec des Cigognes.
Références
BAHR P. H., On the “Bleating” or “Drumming” of the Snipe (Gallinago cœlestis), Proceedings of the Zoological Society of London, Volume 77, 1907.
Cahiers d’habitats Natura 2000, Connaissance et gestion des habitats et des espèces d’intérêt communautaire, Cahiers Oiseaux, Ministère en charge de l’écologie – MNHN, 2008.
CASTEREN A. van, CODD J. R., GARDINER J. D., MCGHIE H., ENNOS A. R., Sonation in the male common snipe (Capella gallinago gallinago L.) is achieved by a flag-like fluttering of their tail feathers and consequent vortex shedding, The journal of experimental biology, 2010
CLARK Christopher J., ELIAS Damian O., PRUM Richard O., Hummingbird feather sounds are produced by aeroelastic flutter, not vortex-induced vibration, The journal of experimental biology, 2013.
Site du CORIF, Centre Ornithologique Île-de-France : http://www.corif.net.
Encyclopædia Universalis, 2014.
MULLARNEY Killian, SVENSSON Lars, ZETTERSTRÖM Dan, GRANT Peter J., Le guide ornitho, Delachaux et niestlé, 2007.
http://www.oiseaux.net.
UICN France, MNHN, LPO, SEOF & ONCFS, La Liste rouge des espèces menacées en France, Oiseaux de France métropolitaine, 2011.
Site de la Station ornithologique suisse Vogelwarte : http://www.vogelwarte.ch.
During the breeding-season our Common Snipe performs certain aerial evolutions, producing at the same time a mysterious sound, called in various parts of the country bleating, humming, drumming, or whirring…
P. H. BAHR, On the “Bleating” or “Drumming” of the Snipe, Proceedings of the Zoological Society of London, 1907.
Pendant la période nuptiale, notre Bécassine des marais réalise certaines manœuvres aériennes, produisant dans le même temps un son mystérieux, appelé dans diverses parties du pays bêlement, bourdonnement, tambourinement, ou vrombissement…
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