À l’image des caméléons, le Poulpe commun est sans doute le plus connu des animaux de France métropolitaine capable de changer en un instant de couleurs. De quelle manière ces fascinants magiciens s’y prennent-ils ?
Monde animal et variations chromatiques
De nombreux animaux possèdent des couleurs qui leurs permettent de passer inaperçus dans le milieu naturel qu’ils côtoient. On peut penser à la Bécasse des bois (Scolopax rusticola) dont le plumage imite la litière forestière, ou bien aux multiples chenilles qui allient couleurs mimétiques et homotypie pour ressembler à une brindille jusque dans leur forme…

L’homotypie : talent de ressembler à son milieu par sa forme
Ces espèces ont un camouflage chromatique fixe : si elles changent de substrat, elles n’auront pas la possibilité de modifier leurs couleurs.
La mue saisonnière, comme chez l’Hermine (Mustela erminea) et le Lièvre variable (Lepus timidus) par exemple, offre une certaine latitude pour faire évoluer le pelage du brun au blanc, plus discret sur la neige. La transformation n’est cependant pas possible à tout moment puisqu’elle ne se produit que deux fois par an.
Certains animaux ont pourtant bien cette fascinante faculté de modifier leurs couleurs de manière réversible et rapide. On en compte parmi les céphalopodes, les poissons, les crustacés, les reptiles, ou encore les araignées.
Cette homochromie peut se produire grâce à leur système tégumentaire, c’est-à-dire leur « peau », qui est composé des cellules pigmentaires, appelées chromatophores.
Les processus de l’homochromie
Deux types de processus sont employés par les animaux. D’une part, un changement physiologique peut se produire du fait de l’étirement ou de la contraction des chromatophores, ainsi que de la dispersion du pigment. Ces changements produisent une variation de l’opacité et de la concentration de la couleur dans le tégument. D’autre part, l’homochromie peut résulter d’un changement morphologique, par une synthèse au niveau du derme.

La Seiche est capable de variations chromatiques rapides
Dans le premier cas, la transformation peut être excessivement rapide, de l’ordre de moins d’une seconde, comme chez la Seiche (Sepia officinalis), ou prendre quelques heures, selon les espèces.
Dans le second cas, le changement s’effectue plus lentement, sur plusieurs jours, voire plusieurs mois. Dans cette catégorie, on compte une araignée, la Misumène variable (Misumena vatia). Elle fait partie de la famille des « araignées-crabes » (les Thomisidæ), nommées ainsi car leur abdomen est trapu et qu’elles se déplacent de côté à la manière d’un crabe, les pattes maintenues latéralement. Il s’agit d’araignées qui capturent les insectes butineurs en les attrapant par la tête et en leur injectant du venin.
La Misumène variable, tout comme le Thomise replet (Thomisus onustus), peuvent adapter leurs couleurs en fonction du type de fleurs sur lesquelles ils chassent. Ils peuvent ainsi passer du jaune au blanc en quelques jours (le pigment jaune migre alors vers l’intérieur, puis est à terme excrété par les selles), ou du blanc au jaune en davantage de temps (le pigment jaune doit souvent être synthétisé de nouveau). Le Thomise replet peut employer une troisième couleur, le rose. Pour changer du rose au jaune ou inversement, il est obligé de passer par une phase blanche pour « laver » les pigments précédents.

Misumène variable en tenue de camouflage blanche sur une ombelle blanche. Les taches rouges dépendent quant à elles du bagage génétique de l’individu.

Thomise replet jaune et sa proie
Pourquoi changer de couleurs ?
Les raisons pour lesquelles les animaux ont recours à l’homochromie font encore l’objet de recherches. Contrairement aux apparences, elles ne sont pas aisément analysables, notamment parce que chaque animal possède un appareil visuel distinct qui n’offre pas la même perception de l’environnement. Ainsi, la Misumène variable blanche sur une fleur blanche est parfois très difficilement détectable par l’œil humain, or sa discrétion est toute relative au regard d’insectes possédant une bonne vision des ultraviolets. Certaines espèces gravitant autour de l’araignée percevront facilement sa présence quand d’autres ne sauront la repérer. Autre particularité, certains thomises ne changent pas de couleur sur une fleur où ils sont pourtant voyants, alors qu’ils en ont la capacité.
On sait que le camouflage a deux objectifs principaux : échapper à un prédateur et surprendre une proie. Par ailleurs, le changement de coloration n’est pas toujours synonyme de discrétion. Il peut aussi servir à effrayer un prédateur, comme dans le cas du Poulpe commun (Octopus vulgaris) capable de faire ressortir des ocelles noires autour de ses yeux, ou avoir un rôle communicationnel intraspécifique, pour signifier son agressivité ou séduire un partenaire.

Aperçu des capacités de changement de couleurs et de mimétisme du Poulpe commun

Le Rombou (Bothus podas), un poisson plat, est également capable d’adapter son camouflage selon le substrat
Instinct et apprentissage des animaux dans l’art chromatique
La manière dont s’enclenche l’adaptation chromatique est différente selon les espèces et les situations. Elle est liée soit à des mécanismes hormonaux, soit à des réflexes, c’est-à-dire à des influx nerveux déclenchés face à la perception d’éléments dans l’environnement. Ce sont parfois les deux mécanismes qui se combinent. Pour parvenir à un mimétisme avec son substrat, chaque animal a évidemment recours à sa vision. Elle ne se fonde pas forcément sur les couleurs comme pour l’Humain, mais permet parfois la lecture de toute une déclinaison de teintes particulièrement subtiles.
L’homochromie est partiellement instinctive. Chez certaines espèces, elle se développe également à travers l’apprentissage. On peut le constater avec la Seiche, dont les œufs ont la capacité à se fondre dans quelques milieux, mais dont la palette de camouflages s’élargit et s’affine à l’âge adulte, et s’avère différente selon l’expérience de chaque individu.
Certaines pistes scientifiques suggèrent aussi une connexion avec l’alimentation, par exemple chez la Misumène variable, et avec la reproduction.

Alors qu’elle ne mesure encore que quelques centimètres, la Seiche peut déjà moduler ses couleurs. Elle affûtera ses capacités tout au long de sa vie.
Références
BELLMANN Heiko, Guide photo des araignées et arachnides d’Europe, Delachaux et niestlé, 2014.
CANARD Frédérik (coll.), Au fil des araignées, éditions Apogée, 2008.
CARLIER Pascal, RENOUE Marie, Variations colorées chez les céphalopodes selon l’environnement physique et social : un point de vue cognitif, Colloque de l’Association pour la Recherche Cognitive, 2007.
DEFRIZE Jérémy, Camouflage chez les araignées-crabes : approche sensorielle, comportementale et écologique, Université François-Rabelais de Tours, Institut de recherche de la biologie de l’insecte, 2010.
Site DORIS, Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et de la flore Subaquatiques : http://doris.ffessm.fr.
Site de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel proposé par le Muséum National d’Histoire Naturelle : http://inpn.mnhn.fr.
WEINBERG Steven, Découvrir la vie sous-marine, Méditerranée, éditions Gap, 2013.